"Un
bout d'histoire (je réalise soudain que nous avons 34 ans de vie
commune... Vertige !) :
Achetée 2 500 FF en novembre 70 (je crois qu'à l'époque, cela
représentait 6 fois mon salaire ! Folie furieuse !), c'était ma première
guitare électrique (j'ai encore
la facture). En fait,
en entrant chez Major Conn, je n'étais pas vraiment décidé sur la marque
et le modèle. J'avais joué sur des Fender qui ne me paraissaient pas mal,
surtout une Jaguar (!) qui m'avait impressionné, car branchée sur un ampli
terrible (j'étais jeune et naïf...). C'est en essayant plusieurs que
l'attirance est devenue irrésistible... Je crois que c'est la clarté du
son qui m'a scotché : tout ce que je jouais était éclatant. Comme
j'hésitais quand même, le vendeur m'a discrètement poussé en... m'offrant
la valise !
J'ai joué longtemps sur un ampli à tubes de marque Recta, d'un look atroce
mais d'une puissance invraisemblable. J'ai grillé des tas de HP avant de
comprendre que "60 watts" est à comprendre très différemment selon qu'on a
des lampes ou des transistors... Il arrivait à tirer de ma Jaco un son
extraordinaire, un parfait équilibre entre attaque et suavité. Avec un
instrument pareil, tout semblait possible. D'ailleurs, aujourd'hui encore,
et même sur des amplis médiocres, je m'émerveille de ces incomparables
micros et je chante les louanges de Saint Benedetti.
J'ai fait partie de divers groupes (le premier s'appelait "Evil Machpro
and his Fantastic Bluesmen"... Hum...), de divers styles, et elle s'est
toujours adaptée sans rechigner à tous les traitements que je lui faisais
subir. Les copains changeaient de guitare entre les morceaux. Moi, je
changeais les réglages. La seule chose qu'elle a eu du mal à avaler, c'est
la pédale wha-wha, qui la faisait larsener lamentablement.
Très vite, au bout de six mois, les mécaniques se sont "piquées" de
minuscules boursouflures. J'étais catastrophé, pensant qu'en quelques
années elles allaient être bouffées par la rouille. En fait, cela n'a plus
évolué, et 34 ans plus tard, les micro-boursouflures sont toujours là,
comme au premier jour... Pour le reste, la nacre a un peu jauni, le liseré
de la caisse est un peu usé à certains endroits, les pull-off ont un peu
creusé les espaces entre les sillets, mais rien que de très normal pour un
instrument qui a autant d'heures de vol. Avec le même traitement, gros à
parier que si j'avais finalement choisi la Fender Jaguar, il n'en
resterait plus grand'chose.
Il y a deux ans, je me suis décidé à la faire réviser. Le mi aigu
"frisait" un peu en bas du manche, le potentiomètre de volume crachotait
(horreur !), et à force de régler les cales du chevalet au pifomètre,
l'accordage devenait laborieux. Elle a été prise en main par un luthier de
St Etienne (Loire), qui l'a chouchoutée, bichonnée, et lui a donné une
deuxième jeunesse. C'est un jeune gars passionné que je recommande
vivement : "l'Atelier
des Guitares", rue Servet. Dans un coin de son atelier, il a une épave
de Studio III qu'il prend tout son temps pour restaurer. C'est dire que
c'est un type bien !
Maintenant que je suis vieux, le calme et la sérénité étant venus avec
l'âge, elle coule des jours heureux pour une retraite bien méritée. De
temps en temps, on se raconte nos souvenirs autour d'un petit blues
tranquille...