Le 19 mai 2004

 Q : Tu as reçu une formation musicale classique …

R : Oui

 Q : solfège, conservatoire, plusieurs instruments ? 

R : La principale formation, c’était, à partir de l’âge de trois ans, le piano. Le piano, comme on faisait chez nous, deux cours par semaine et régulièrement. C’était la seule formation autorisée . Par contre j’ai tout de suite eu envie de faire autre chose, et je suis entré, je devais avoir sept ans, à l’harmonie municipale, où là, j’ai commencé par des cours de batterie, puis le chef d’orchestre de l’époque, voyant comment j’étais musicien, paraît-il, m’a mis au clairon, parce que ça dépannait, puis à la trompette et à la clarinette. Donc, effectivement, je jouais, à 14 ans, du piano, de la clarinette et de la batterie, sûrement fort mal, mais enfin, j’en jouais. Je me rappelle très  bien, trompette et clarinette, ça devait aller, parce que quand je faisais du bal à vingt ans, j’ai à plusieurs reprises pris la trompette pour jouer des pasos et des trucs comme çà : donc, j’en jouais encore. Mal, sûrement, mais j’en jouais encore. Quand, pour une raison toute simple, on habitait à l’extérieur de la ville, j’étais orphelin, les répétitions de l’harmonie se faisaient le soir, la nuit, ma mère, veuve, stressée, ne voulant pas me voir seul dans les rues la nuit, après la mort de mon père, m’a obligé à quitter ça, à quitter ce que j’aimais, à savoir la partie harmonie qui me faisait jouer des cuivres, et par contre coup j’ai choppé la colère et dans les six mois qui suivirent j’ai abandonné le piano : la bagarre entre un jeune coq qui se réveille et une maman, c’est tout … donc, la sanction est tombée, j’ai tout arrêté, ce qui m’a sûrement posé des problèmes de famille, mais comme j’aimais la musique, curieusement, je me suis mis instantanément à jouer de l’harmonica. J’ai joué de l’harmonica pendant des années, jusqu’à l’âge de pratiquement dix-huit ans. J’ai eu un grave accident de ski à dix-sept ans et là je suis resté couché pendant plus de six mois. Il y avait une guitare espagnole classique que l’on avait achetée à mon frère, qui avait cinq ans de moins que mois, onze, douze ans. Comme je m’ennuyais au plumard, j’ai attrapé les bouquins de Bach au piano, les fugues, entre autres, je me souviens très bien, et puis je les ai ânonnées note à note sur la guitare. Et puis je jouais de la guitare tout le temps … 

Q. Pas d’accords …

 R. Eh non ! Je jouais Mi La Do Si La Si Ré Do Mi Sol Si … voila ! Et quand j’ai été réparé, que j’ai pu recommencer à faire du sport normalement, je devais avoir dix-sept ans et demi, je me souviens que j’étais  à la piscine en train de jouer du Bach, puisque je ne savais jouer que ça, sur la guitare, passe un gars qui me dit : « mais tu sais jouer de la guitare ? J’ai besoin d’un guitariste pour faire un bal dimanche ! » Et je me suis retrouvé avec un batteur, un accordéoniste et moi à aller faire un bal le dimanche. Il avait une guitare électrique que je n’avais pas, et il me l’avait prêtée, et puis quand il fallut que je joue les accords, et bien je jouais la même note que lui au fur et à mesure, puis que je lisais couramment la musique, j’ai joué comme lui et il me disait : « Faits les accords : La … » et moi je lui faisais une note, La, mais ce n’était pas un accord de La. Et là j’ai découvert  que je ne comprenais rien, et je suis revenu voir mon professeur de piano et je lui ai demandé de m’indiquer comment il fallait apprendre l’harmonie, il m’a dit qu’il aller me donner trois leçons, ce qu’il a fait. Et il m’a expliqué les fondamentales de l’harmonie, à savoir la seconde, la tierce et tout ce qui s’en suit, ensuite comment on construit un accord, le pourquoi de certaines choses, et effectivement il m’a donné trois leçons qu’il m’a offertes gentiment parce qu’il était content de me voir revenir vers la musique et le reste, je l’ai fait tout seul, voilà. Alors l’histoire de la musique, pour moi, c’est çà. L’histoire de la guitare, tu m’as demandé : ma première guitare électrique, et bien dans les mêmes années, à dix-sept ans, quand j’ai été réparé …

 Q. En quelle année ?

 R.  à dix-sept ans, vers 62, je me suis fabriqué ma première guitare électrique, sûrement après avoir joué au bal, ou par là, et donc je l’ai fabriquée avec mon ancien professeur de bois de l’école, je suis allé le voir (tu as donc vu le manche qui est là), j’ai acheté des micros et puis j’ai commencé à faire du bal avec cette guitare que je m’étais frettée tout seul, que j’avais fait tout seul, ça devait sûrement m’écorcher un peu les doigts … 

Q. et alors pour disposer les frettes …

 R. tu l’as là d’origine. Je trouve que je ne m’en étais pas trop mal sorti pour un débutant … mais j’ai toujours été un peu doué avec mes doigts. d’où ma rencontre avec Jaco après. Donc j’ai travaillé l’harmonie. L’harmonie ne m’a pas appris grand-chose. Après tu apprends à faire un accord de Do, c’est un position, un accord de La, c’est une position, un accord de Sol c’est une positon sur une guitare, il m’a fallut bien des années pour arriver comprendre que cela pouvait aussi marcher autrement.  Donc j’ai commencé mes dix premières années de musique à jouer comme tout le monde, à savoir le Do, le La, le Ré 7ème et ainsi de suite. D’abord sur ma guitare, puis quand j’ai eu quatre ronds, je me suis acheté une Eko, déjà jazz, avec une pleine caisse, tout de suite je suis passé à une guitare de jazz et puis là, j’ai tourné quelques années, puis je pense que … Ah, si, j’ai eu une Jaco. J’ai joué dans un groupe où le copain bassiste … 

Q. J’allais te demander : Ta première Jaco 

R. Voilà … il m’a passé sa R2. C’était donc la demi caisse Jaco. Elle était rouge, elle était splendide, avec des boutons noirs …

 Q. En guitare ou en basse ? 

R. Guitare ! Il s’était mis à la basse dans ce groupe parce qu’il n’était pas à mon niveau en tant que guitariste, par contre il était très musicien et on s’était rassemblés à cinq musiciens, qui nous considérions comme musiciens, pour faire de la musique autrement, du bal autrement. Et c’est d’ailleurs ce qu’on a fait. Et lui qui était très musicien, d’ailleurs il est aujourd’hui contrebassiste de jazz, (c’est Nino), et il m’a laissé sa guitare électrique et avec l’orchestre on a acheté une Jazz Bass Fender… 

Q. C’est une bonne basse …

 R. On a cartonné, attends… on avait investi, on avait emprunté. On avait acheté une sono Santini … 

Q. Qu’est ce que tu avais comme ampli ?  

R. À l’époque, pour la guitare, tu sais, moi, j’ai toujours aimé la HiFi. J’avais un ampli Hitone H300, c'est-à-dire le gros Hitone à lampes, les amateurs de Hifi d’exception connaissent cet ampli. C’est un peu comme un McIntosh mais c’est français. C’était abordable (entre guillemets, relativement abordable)  mais dans les années soixante c’était l’archétype de l’ampli HiFi de très haute qualité.

 Q. Et le baffle

 R. D’abord avec un baffle dans lequel j’avais mis des Celestion  et très très vite je me suis retrouvé avec un baffle avec deux 130F JBL parce que j’ai découvert JBL dans les années soixante. Et donc j’ai fait venir des Etats-Unis les plans pour fabriquer les enceintes, (j’ai quelques photos de ces baffles que j’avais fabriqués), puis voilà … tout de suite après çà, ça a été ma première Gibson …

 Q. C’est le début de ta collection fabuleuse …

 R. Voilà ! c’est le début, parce que, dans ces années là, donc, moi, j’étais fou de Gibson et comme c’était une époque où la musique rapportait bien, pour ceux qui ne jouaient pas trop mal, je faisais beaucoup de bal, je faisais plein de choses différentes…

 Q. Et tes études d’ingénieur, tu les faisais en parallèle ?

 R. En parallèle ! Donc, tous le week-ends j’étais parti…

 Q. Tu étais à Tarbes ?

R.  J’étais à Tarbes. L’école d’ingénieur n’existait pas : c’était une autre dénomination. Cà s’appelait l’ENP. Mais donc je faisais tout en parallèle, et dès que j’avais fini mes études à l’école, je me rappelle, j’avais la guitare, je travaillais comme un fou …

 Q. Tu ne devais pas dormir souvent ?

 R. Non, non. J’ai toujours tout fait à cent à l’heure ! Donc j’ai investi … en fait je rêvais d’avoir des Gibson et quand ma route croisait des musiciens qui avaient des Gibson, généralement ils voulaient  des Fender pour faire comme les Shadows, j’ai acheté plusieurs Gibson (je ne dis pas plein), mais plusieurs Gibson, quelles qu’elles soient, y compris des L5, ma première L5 … au prix qui permettait à l’autre de s’acheter une Strato. C’était affolant. Mais je ne me rendais pas compte de ce que je faisais. Lui non plus. J’ai eu une ES-175. Mais j’étais toujours tourné vers le jazz.

 Q. Mais ces quand même des guitares qu’on ne devait pas trouver facilement sur la région…

 R. Ca n’existait pas ! J’en ai fait venir des Etats-Unis. C’est comme ça, en cherchant ça, que j’ai rencontré André Duchossoir, que j’ai rencontré Patrice Bastien, Mazzolini qui étaient les premiers collectionneurs. Ducros. Les tous premiers collectionneurs de France connus. Il y en avait peut-être d’autres, mais c’est cette recherche des instruments qui … et Jaco. Ne parlons pas de Jaco, bien sur ! Au milieu des années soixante, j’ai rencontré Jaco. C’est lui aussi. Quand j’avais une guitare, que ne savais pas de quel modèle il s’agissait, c’est lui qui me disait laquelle c’était et ainsi de suite. Ca a été une longue recherche parce que rien n’existait. Rien. Rien du tout ! Par contre j’aimais tellement les guitare, je les achetais pour le bonheur, donc quand je les avais, je les soignais, je les chouchoutais, je prenais la dimension de la tête, je cherchais à savoir comment elles étaient construites, on se téléphonait avec Duchossoir pour savoir les différences que l’on avait trouvées l’un l’autre … pourquoi un point sur le i de Gibson, pourquoi pas le point, pourquoi ceci, pourquoi cela …Ca a été le début, pour lui aussi, de ses bouquins …

 Q. Parce que lui, ça a été le début pour à peu près tout le monde … Tous les gens qui ont commencé à collectionner en France après, c’est parce qu’ils avaient lu les articles de Duchossoir et des Jacobacci dans DISC, mais dix ans après toi.

 R. non, pas dix ans ...

 Q. C’était en soixante-dix-huit, soixante-dix-neuf … 

R. Moi je n’apparaissais pas. Je n’apparaissais pas parce que je n’avais pas à écrire dans ces trucs là. J’étais en pleines études comme eux, mais on se téléphonait pour dire les choses qu’on avait vues. Les premiers micros Gibson, avec marqué Gibson dessus, c’est Jaco qui les a eus dans les mains …

 Q. Les fameux 72 …

 R. Voilà. C’est petit à petit, et puis surtout c’est quand André Duchossoir est parti chez Gibson, alors là, qu’il nous a remmené des monceaux d’informations. Parce qu’alors là, il s’est plongé dans les bouquins de Gibson, il a fait un travail de titan pour la cotation, pour les années, pour tout ça. C’est inimaginable, le travail qu’il a abattu. Moi je ne suis rien par rapport à tout ça. Rien de rien de rien … Si, je lui ai racheté quelques guitares, parce que lui, c’est un gars qui achetait des guitares pour les étudier. Alors quelques fois, il lui est arrivé d’acheter des guitares aux Etats-Unis, de les remmener, et quand il les avait bien étudiées,  je lui rachetais les guitares, moi, mais il n’a jamais fait d’argent avec. Je pense qu’il n’a jamais gagné cinq cent francs sur moi. Ca lui permettait d’établir sa nomenclature et de devenir le docteur es-guitares Gibson que l’on connaît.

 Q. Et Fender aussi …

 R. Il a fait beaucoup plus Fender que moi. Moi, ça ne m’a jamais vraiment plu, parce que j’ai trouvé que Fender, c’était un mécano … Alors c’est vrai qu’il y a des guitares qui sonnent, mais pour moi, c’est pas de la lutherie … mais je ne devrais pas dire ça, je vais me faire incendier ! Mais c’est vrai que ça sonne, il n’y a pas à dire. Mais il ne faut pas oublier que Leo Fender … parce qu’aujourd’hui, les docteurs es-Fender racontent beaucoup de choses, on entend beaucoup de légendes … l’épaisseur du vernis,  moi j’ai vu des mecs me faire des expertises en m’expliquant : le vernis … bande de cons ! Vous n’avez rien compris ! Le père Fender, il fabriquait des amplis de radio, et il avait une formation, un petit peu comme la mienne. Et qu’est ce qu’un type qui est un ingénieur ou un technicien dans l’âme ? C’est un type qui va construire quelque chose qui soit efficace, pas cher à construire, et pas cher à dépanner. D’où l’histoire du manche vissé. Tu pètes un manche, tu changes, tu mets quatre vis, c’est fini et ça marche … 

Q. La telecaster, c’est exactement ça …

 R. Et le reste, tout ce qu’on raconte, c’est à se tordre de rire, parce que Fender, il n’y connaissait que dalle ! C’est un génie, parce que les génies sont là. Il n’y a pas à dire. Les génies sont là. Si on regarde les vieux bluesmen, ceux qui ont écrit l’histoire du jazz et du blues, ils ne savent pas jouer, mais c’est des génies. Voilà ! Et Leo Fender, c’était ça. Après tout le reste, c’est du laïus. Pour moi, c’est du laïus. Mais il est vrai qu’il y des gens qui ont tout inventé, Fender d’une part et Gibson d’autre part, parce que on a beau tordre les guitares dans le sens qu’on veut, quand on est sorti de la Tele, de la Strato, de la Les Paul et de la 335, on peut aller se rhabiller … 

Q. Moi c’est la période de Gibson que j’aime, la période de Ted McCarthy …

R . C’est ça ...

 Q. Alors les frères Jacobacci, tu les as rencontrés quand, pour la première fois ?

 R. Je pense à la fin de l’année soixante-cinq ou au milieu des années soixante. Entre soixante-cinq et soixante-dix. La date, je ne m’en souviens pas. Effectivement, la première fois que j’y suis allé, j’y suis allé en soixante-cinq ou six, je m’en souviens, avec une Barney Kessel que j’avais rachetée d’occasion … de soixante-deux, celles qui sont horribles avec le talon qui dépasse …

 Q. Double découpe pointue … 

R. Mais il y en a qui ont la tête rentrée. En soixante-sept, ils les ont refaites, il n’y a pas cet immense talon qui dépasse …

 Q. Parce que ton ami Marc, de Bayonne, m’a dit qu’il en avait achetée une neuve en soixante-sept…

 R. Voilà. Alors lui il a acheté un modèle soixante-sept et moi j’avais trouvé d’occasion une Barney Kessel, qui était dans un état pitoyable, que j’ai portée à Jaco pour me la remettre en état. Je pense que c’est là que je l’ai rencontré.

 Q. Barney Kessel, c’est une influence importante pour toi ?

 R. Alors bien sur, j’ai beaucoup d’estime pour Barney Kessel. Oui, mais en fait mon influence, si on me demande : qui, de tous les guitaristes ? C’est Kenny Burrel. Et avant Kenny Burrel, qui m’a permis de mettre les doigts dans l’improvisation jazz, c’est Charlie Christian. Voilà. Avant de connaître Kenny Burrel, j’ai travaillé sur Charlie Christian, et bien sur après, tous les guitaristes, qu’ils soient français ou américains, je les ai étudiés, écoutés et sûrement pas assez,  sinon je serais meilleur, mais après,  celui qui m’a vraiment marqué, peut-être plus que Wes Montgomery, pour son blues, pour son feeling, c’est Kenny Burrel. Hors, aujourd’hui, ce n’est pas mon influence majeure, mais je dois reconnaître que tout guitaristes confondus, c’est pour moi une forme de perfection. Même si l’on mélange avec Farlow et d’autres qui sont plus virtuoses. Pour moi, c’est plutôt Kenny Burrel.

 Q. Alors donc tu arrives chez les frères Jacobacci avec ta Barney Kessel. Ca c’est passé comment ?

 R. Oui, c’est ça, c’est au milieu des années soixante. Je ne me souviens pas de tout, si ce n’est que quand j’ai porté cette guitare, j’y suis arrivé très tôt. Le train de Tarbes, le train de nuit, arrive à sept heures, et donc j’ai du arriver chez eux à huit heures moins le quart, il ouvrait, ils étaient déjà au turf, un samedi matin, et en fait j’ai porté la guitare pour qu’il me la refasse, et je lui ai dit que je partais chez Dadi me chercher une Super 400 : « est-ce que je peux venir vous la montrer » ? Et Roger m’a dit : « oui » ! Et j’achète la Super 400 à Dadi et on  a discuté « grave » parce que Dadi les aimait et moi, j’ai dit à Dadi que la Super 400, c’était une Super 400C dans laquelle on avait mis des micros et Dadi s’est tourné les pouces dans tous les sens (parce que j’ai eu la chance aussi de connaître Marcel après), mais là c’était la première fois qu’on se rencontrait. D’abord c’était sa mère, mais je ne voulais pas discuter avec sa mère, elle n ‘y connaissait rien. Enfin, bref, j’ai réussi à emporter cette Super 400 à un prix qui me convenait, bien qu’elle ne soit pas intègre, mais je n’avais jamais eu une Super 400 …

 Q. Le barrage ?

 R. Le barrage était en X …

 Q. Il avait été défoncé pour mettre les micros ?

 R. Voilà. C’est une C dans laquelle on avait mis des micros. Ca sautait aux yeux. Les trous, les potars n’étaient pas à leur place. Donc, j’ai remmené ça à Jaco et il me dit : « Ah , elle n’est pas d’origine ! » «  Je sais bien, oui, mais je l’ai eue à tel prix », je ne sais plus combien, pas vraiment cher, moyennement. Et donc on s’est mis à parler et il me dit : « putain, elle est belle, quand même ! Elle est belle ! Elle est vieille » … Je lui dis : « à mon avis, elle de cinquante-cinq … « « Et comment tu sais ça, toi ? » . C’est là qu’on est tombés amoureux l’un de l’autre. Sur cette Super 400,  parce que je n’avais pas les numéros, mais à la forme de la tête,  ça correspondait à des instruments de cette époque là. Et, effectivement, si on regarde la Super 400 dans les années cinquante-cinq, l’accolade de la tête sort beaucoup plus, ça fait moins « moustache ». Et je lui disais qu’elle était du milieu des années cinquante et effectivement, après, quand on eu les numéros avec André (Duchossoir) c’était cinquante-cinq, et ce qui a étonné Jaco, c’est de voir arriver chez lui un paysan de la Bigorre avec son accent plat,   même si j’étais bien habillé, qui savait plein de trucs. On s’était déjà téléphoné, mais il ne me connaissait pas de visu. Et ce jour là, ça a été assez marrant parce que, quand ça a été fini, on s’est mis à l’apéro à midi et demi, sa femme a téléphoné deux fois au  bistrot pour savoir ce qu’il foutait et il s’est fait engueuler le soir quand il est rentré parce qu’il lui a dit : je suis tombé sur un type terrible. Moi je suis rentré chez moi, j’étais amoureux de Jaco. J’ai dit à ma femme : j’ai rencontré un mec extraordinaire et quand sa femme m’a connu, elle m’a dit : j’ai dit à Roger qu’il avait raison ! Ca c’est un compliment ! Je plaisante, je ne veux surtout pas me prendre pour un type bien, mais c’est vrai qu’on est devenus hyper copains à partir de ce jour là, autour d’une Super 400.  Voilà, et après …  

Q. Il en a fabriqué exprès pour toi, des Jaco, ou tu en as acheté d’occasion ?

 R. Ah, non. Jaco, quand il a eu ces histoires, qu’on l’a viré de la rue Duris, il s’est retrouvé planté, parce qu’il partait sans un rond et il se trouve que j’étais peut être au bon endroit au bon moment, disons que je l’ai aidé, sérieusement, à être dédommagé, à être indemnisé et avoir un pécule, de quoi repartir et remettre un autre lieu en état, et là je l’ai beaucoup aidé, effectivement, mais je l’ai fait comme on aiderait un frère, à monter une côte à vélo, en le poussant, c’est tout. Je le pouvais, je l’ai fait. Là, quand je suis arrivé rue Delaître, au bout de six mois qu’il était installé, il y avait, tu l’as vue, tu l’as déjà photographiée, une Gimenez blonde avec un micro Charlie Christian qui m’attendait. C’est la première guitare qu’il m’a offerte. Ensuite il m’a retapée, rue Delaître, la Gimenez, sa première, celle que tu as prise en photo, ma chérie, celle dont je joue toute la journée, que j’avais trouvé sous des tissus et sous la poussière rue Duris, dans son bureau, abandonnée depuis onze ans dans une poche en plastique, cassée par Benedetti … Ca, c’est moi qui le dis. Benedetti dirait que non, mais comme elle est rentrée de chez Benedetti cassée, je ne peu pas dire que c’est moi qui l’aie cassée, ni Jaco. Il a du mettre cinq ou six ans à me la réparer, je n’ai pas pu la payer, il me la donnée, et puis pour les guitares qu’il m’a données, quand Dédé est mort, je me suis aperçu qu’il avait fabriqué trois guitares, deux R2, si mes souvenirs sont exacts, blondes, magnifiques,  mouchetées, tachetées et une Distel Rouge que tu vois là. L’une des R2 était pour son fils (NDLR : il s’agit très probablement de la guitare que Roger Jacobacci a entre ses mains sur la photo de l’interview  de Laguitare.com ), l’autre c’était pour son neveu, le fils de Dédé et la troisième était pour moi … C(est le genre de choses qui touche « grave », voilà. Effectivement, Roger m’a offert trois guitares. Toutes les autres que j’ai, ou je les ai faites fabriquer, ou je les ai rachetées, ou je les ai trouvées d’occasion, parce que, effectivement, en aimant Roger et en aimant son art comme je l’aime, j’ai acheté dans ma vie  trois ou quatre ou cinq  Distel, entre autre, des Gimenez, aussi… Je n’ai pas gardé toutes les guitares parce que depuis quelques années je trouve que c’était trop de garder tout pour moi et j’ai fait profiter certains de mes copains de mes guitares, j’en ai vendues d’autres. Mais je garde, je ne peux pas faire autrement que garder les guitares qu’il m’a données, quelque soit le prix !

 Q . Tu as fait le déménagement de la rue Duris à la rue Delaître ?

 R. Alors, non. J’ai vécu, par téléphone, rue Duris – rue Delaître. Et je suis effectivement un acteur principal, puisqu’ils l’avaient d’ailleurs écrit dans DISC à l’époque, du déménagement parce que je l’ai aidé sur le plan légal, face à la ville de Paris, des indemnités, parce que, effectivement, dans un premier temps, on le virait et il arrêtait, parce qu’il ne pouvait pas se réinstaller ailleurs. A l’époque, je travaillais comme ingénieur pour le groupe SEB, je tournais beaucoup, j’étais souvent dans les avions, je n’ai jamais eu l’occasion d’être à Paris au moment où il déménageait. Donc, je n’ai pas vu la poussière, je n’ai pas vu les camions, je n’ai rien vu. Je l’ai su par téléphone, parce qu’on se téléphonait tout le temps, par contre j’ai complètement vécu le déménagement de la rue Delaître, parce que là, Roger était seul, André était mort depuis au moins deux ans. Là, j’avais une vie qui me permettait d’être disponible, je suis allé, à la mort de Dédé, trois ou quatre fois avec Roger pour l’aider. Je m’occupais de la partie électrique en particulier des guitares …

 Q. Tu es passé de l’autre côté de l’établi …

 R. Voilà ! Ca me touchait, d’ailleurs, parce que j’étais à la place de Dédé et … par contre, quand Roger a décidé d’arrêter pour de bon (il était de nouveau évincé par la Ville de Paris) , c’est pour ça qu’il s’est précipité, mais de toute façon il en avait marre, il n’en pouvait plus, d’où la photo que tu as vue, on dirait qu’il a vingt ans de plus. Quand il est parti , je suis allé passer huit, dix jours à Paris, je pouvais le faire, alors il n’y a rien à dire… Je vivais chez lui et on est parti tous les matins, on se levait à six heures, à sept heures et quart on était là, après avoir pris le métro et on était dans la poussière et on jetait, et on jetait … et on a préservé ce que je pouvais préserver, parce que lui, il aurait tout jeté. On a fait des caisses et on a gardé ce qu’on a pu, il y a beaucoup de choses que j’ai tenu à mettre en caisses et notre ami Gérard Amsellem l’a beaucoup aidé aussi, parce que je ne sais pas comment il s’est débrouillé, il a trouvé un camion, je crois même qu’il a fait parti du déménagement avec le camion, ils ont chargé toutes les caisses que j’avais faites. On ne s’est pas vu, je ne me souviens pas que l’on se soit vu avec Gérard, parce que lui est toubib, il a autres choses à faire quand on faisait les caisses, mais je me souviens que   j’avais fait des caisses qui devaient partir en Vendée. Parce que Roger, si on l’écoutait, il n’y avait rien à garder! Et Gérard et moi étions bien d’accord pour dire qu’il ne fallait surtout pas tout jeter, parce que Roger, à sa retraite …

 Q. .. il fallait qu’il s’occupe un peu les mains ?

 R. Même s’il ne voulait pas, il fallait qu’il s’en occupe un peu. Et ça, ce que je te raconte, j’espère que c’est simplement  la stricte vérité, je sais que c’est le souvenir de Gérard, tu pourras lui demander, de toute façon c’était absolument ma volonté à moi, c’était la volonté de Gérard, qu’on en laisse, qu’il en ait, que ça le tente ! Et, effectivement, c’est resté dans les boites pendant plusieurs mois peut être des années, et, au bout du compte, je suis allé en Vendée et on a tout réinstallé. On a installé l’établi, qu’on avait coupé en deux, parce que la partie de Dédé, il l’a donnée à la veuve de Dédé … parce qu’ils s’étaient installé un établi double, face à face …, et on a tout réinstallé là bas et Roger peut bricoler, fort heureusement pour nous, fort heureusement pour moi, parce qu’il m’arrive aujourd’hui de monter et d’aller travailler avec lui, où chaque fois je suis à nouveau médusé par son coup de main. Pour re-fabriquer des guitares, il ne le fera pas, mais rendre service à des copains, en faisant une réparation, une retouche ou un vernis …  Il peut encore le faire et je pense qu’il faut surtout en profiter tant qu’il est là …

 Q. Merci beaucoup !

 

 

 

 

 

 

Page d'accueil

 

Home Page