Q : Qu’est ce qui t’a emmené à la guitare ?

 

R : Je pense que c’est par Brassens. Par Brassens, et après (j’étais vachement amateur de jazz à cette époque là), j’ai bifurqué vers le jazz avec la guitare, … mais je pense qu’à l’origine, c’est bien Brassens.

 

Q : Tu avais quel age quand tu as commencé ?

 

R : 13 ans

 

Q : C’est venu facilement ou ça a été difficile ? Tu as eu la tentation de t’arrêter ?

 

R : Jamais. Il y a plusieurs sortes de guitares, plusieurs domaines. C’est un instrument où l’on peut faire quelque chose assez vite, mais après on met vingt ans pour apprendre à jouer, disons vingt, vingt-cinq ans pour arriver à faire ce qu’on veut.

 

Q : tu avais eu une formation classique : conservatoire, solfège, instrument ?

 

R : Oui, j’ai commencé par faire du saxophone. J’ai même continué dans l’orchestre de mon école d’ingénieur : je jouais de la basse, de la guitare et du saxophone.

 

Q : Je suppose que tu as mis Brassens de côté. C’est le Jazz qui t’intéressait ?

 

R : Brassens m’a appris les rudiments de l’harmonie. Après, c’est entièrement autodidacte, ce que j’ai fait, sauf quelques cours que m’a donné Olivier Despax, qui est mort depuis. Il m’a donné cinq, six cours : très intéressant ! Vraiment j’ai appris des choses … en quelques heures ! Extraordinaire !

 

Q : Olivier Despax, tu l’as connu avant qu’il soit célèbre , avant qu’on ne le voit en photo avec Brigitte Bardot ?

 

R : Il était déjà connu. Dans Jazz Hot, il gagnait régulièrement le premier prix des guitaristes de Jazz français

 

Q : Un peu comme avait fait Sacha Distel, avant qu’il ne devienne une vedette de variétés et qu’on le voit avec Brigitte Bardot?

 

R : Exactement, les deux ont terminé leur carrière avec Brigitte Bardot!

 

Q : Malheureusement , Olivier Despax est mort assez jeune, d’un cancer. A un moment donné, tu as eu envie d’acheter une guitare électrique ?

 

R : bien sur !

 

Q : Qu’est ce qui t’a donné l’envie d’une guitare électrique ?

 

R : Deux choses. D’abord en Jazz il est difficile de refaire Django Reinhardt (d’ailleurs il y en a toujours qui s’y cassent les dents, ils y croient toujours mais ils n’arrivent pas au quart du tiers de sa cheville) et jouer de la guitare non amplifiée, c’est pratiquement impossible. Si tu joues avec un piano, tu n’es pas entendu. Je ne parle pas d’une batterie, parce qu’alors là, si tu as un cogneur à la batterie à côté de toi, ce n’est pas la peine … Donc, en jazz, on est condamné à jouer de la guitare électrique. Qu’on le veuille ou non. Au début c’était pour faire comme tout le monde et après, … pour ne pas faire comme tout le monde !

 

Q : A ce moment là, tu vas chez Major Conn et tu achètes ta première Royal ?

 

R :C'est-à-dire, je voulais acheter absolument une Gibson ES-175

 

Q : Olivier Despax devait déjà avoir son ES-175

 

R : Il avait une 175, comme la plupart des guitaristes jazz de l’époque. Dans les années cinquante, soixante, les guitaristes de jazz jouaient sur ES-175 ou L5. Je voulais absolument une 175, mais ça ne se trouvait pas à Paris, il fallait aller aux USA la chercher. La seule chose qui s’en rapprochait, c’était les guitares Jacobacci, faites pour Major Conn, mais sans le nom Jacobacci. D’ailleurs : on ne le savait pas. Pendant des années, je n’ai jamais su que je jouais sur une guitare Jacobacci.

 

Q : Tes parents ont pris la chose comme il faut ou ça les a inquiété, un peu, ton amour pour les guitares électriques ?

 

R : si je me souviens bien, ce doit être pour mon premier Bac : mon père a cassé la tirelire pour acheter la guitare

 

Q : tu étais un bon élève : tu avais du faire math-élem, prépa,

 

R : C'est-à-dire, j’étais bon élève pour avoir mes examens. S’il n’y avait pas d’examen, j’étais un très mauvais élève.

 

Q : Est-ce que tu avais un amplificateur à l’époque pour la Royal ?

 

R : J’avais un ampli RV, acheté chez Major Conn.

 

Q : C’était le modèle (la Royal) avec le manche en bois, à cette époque là.

 

R : Ah, oui. Les manches en alu n’existaient pas encore. Ils sont venus un an ou deux ans après. Tout simplement parce que Jacobacci ne voulait pas faire d’armature réglable, comme la Gibson.  Hors, les premières manches de Royal en bois avaient du mal résister au soleil.

 

Q : Ca a été le problème sur la tienne ?

 

R : J’ai eu le problème sur la mienne. Donc, ils ont essayé le manche en alu, pour ne pas mettre d’armature dans le manche de leurs guitares. Enfin, l’armature existait , mais  elle était fixe, elle n’était pas réglable. Je me souviens d’une discussion avec le directeur de Major Conn où je disais : « … mais, c’est tellement facile, sur une 175, de régler le manche … », j’avais sûrement vu celle de Despax, la veille, et il me disait : « … absolument pas ! D’ailleurs, maintenant, on fait des manches en alu, Monsieur !)

 

 
 

Un très jeune Jean-Pierre Bourgeois et sa Royal

 

3 jeunes guitaristes studieux : Jean-Pierre Bourgeois au centre, Christian Prunier, futur Pingouin, à droite

 

Q : Tu étais parisien, tu venais en voisin, déjà ?

 

R : Oui. J’étais dans le dix-huitième, ce qui n’est pas très loin d’ici.

 

Q : La Royal, à un moment donné, tu la revends à Christian Prunier …

 

R : … qui n’était pas encore dans les Pingouins …

 

Q : … qui était un de tes amis. A la place, tu achètes une Texas, dorée, un micro. C’est quand même  un changement : pourquoi es-tu passé d’une guitare acoustique, en quelque sorte, à quelque chose qui ressemble passablement à une solid-body, à une guitare de Rock&roll, ou de twist ?

 

R : C’est une excellente question : je ne me souviens plus du tout pourquoi ! Je crois que je me suis fait avoir par le propriétaire de MajorConn à cette époque là. Mais, évidemment, je suis toujours resté avec un seul micro : ce que j’appelle une « guitare d’homme ».

Mon père a donc recassé la tire-lire pour le second bac, les profs ayant juré, mais un peu tard, que je ne l’aurai dans aucun cas. Après « maths élem » en poche, j’en ai profité pour passer le bac Philo en deuxième session.

 

Q : La guitare était en magasin chez Major ou bien l’as-tu commandée spécialement avec un micro …

 

R : … avec un micro, elle n’existait pas. Elle était au moins avec deux micros.

 

Q :  sur le catalogue MajorConn on voit : deux micros ou trois micros...

 

 R : … elle a été faite « Custom Made » pour moi.

 

Le loulou de Poméranie, Jean-Pierre et sa Texas

 

Q : C’est le moment où tu pars à Nantes à l’ENSM pour faire tes études d’ingénieur. Tu emmènes avec toi l’ampli RV …

R : … et la guitare Texas ! Mais trois ans après, prépa oblige.

 

Q : et tu joues dans l’orchestre de l’école, et aussi du saxophone ...

 

R : … et du saxophone, oui. Je ne m’en souvenais plus mais j’ai retrouvé une photo où l’on me voit jouer du saxophone et je me suis dit : mais c’est vrai …

 

Q :  On sait par Jean-Claude Bompais que l’orchestre était coté à Nantes …

 

R : Ah oui, oui

 

Q : Et vous jouiez quoi ? Du jazz, des variétés ?

 

R : Nous nous efforcions de jouer du jazz ! Mais quelques fois on nous demandait une valse … Alors on a des souvenirs extraordinaires, parce qu’on ne savait pas jouer la valse, et on s’en foutait complètement. Quelques fois on avait des bals de mariages. Alors on embauchait un accordéoniste.  Il bouchait les trous avec des valses, et il avait cette particularité de rajouter quatre, cinq mesures à tous les morceaux, dans des endroits absolument inattendus. Comme on jouait tous plus ou moins d’oreille, ça passait quand même, mais il était jamais dans la partition, jamais. Pourtant, il était bien seul à se servir d’une partition, mais il était également le seul … à ne pas savoir la lire (rires) !

 

Q : tu as rencontré Mme Bourgeois à Nantes…

 

R : … elle arrivait de Guadeloupe, détour assez remarquable pour arriver à Nantes, puis Paris …

 

Q :  … et après tes études tu pars en Guadeloupe, peut être pour ce qu’on appelait la coopération ?

 

R : L’aide technique. Il n’y avait plus de service militaire si l’on faisait l’aide technique. On n’était pas militaire : on ne faisait pas le service militaire, mais le « service national ». Là bas j’ai continué à jouer de la guitare …

 

Q : … tu es parti là-bas avec la guitare et l ‘ampli ?

 

R : J’avais toujours la Texas, mais vendu l’ampli. Et j’ai racheté une guitare « à caisse » sur place. La Texas n’était pas vraiment ma tasse de thé. Elle a été transformée en basse à six cordes par mes soins.

 

Q : C’est cette guitare à caisse que l’on voit sur la photo de ton site, avec deux découpes pointues, qui ressemble …

 

R : à une ES-335 Gibson. Mais en fait c’est une japonaise.

 

Q : On te voit avec un magnifique collier de barbe … et la Texas transformée en basse.

 

R : oui, j’étais barbu … la barbe du prof de maths. J’avais cette particularité d’être prof de math dans la journée et guitariste la nuit. Ca donnait des choses amusantes : par exemple, quand le directeur de l’école normale et le vice-recteur de la Guadeloupe sont venus à l’hôtel où je jouais, pendant toute la soirée on a fait semblant de ne pas se connaître ! Si tu veux des histoires, j’en ai : parce qu’à cette époque là, il a couru un bruit  (je crois savoir d’où il vient), que j’étais une « barbouze » envoyée par De Gaule pour surveiller la Guadeloupe, si bien que j’étais intouchable. Tout le monde, jusqu'au vice-recteur, avait une trouille incroyable de moi ,. Mais je n’ai connu le fin de mot de l’histoire qu’en quittant la Guadeloupe, par l’instigateur du faux bruit lui-même, qui doit en rire encore.

 

Q : Tu es resté combien de temps à la Guadeloupe ?

 

R : Deux années scolaires.

 

Q : Après,  tu reviens en métropole, avec une guitare, mais plus la Texas, qui est restée là bas.

 

R : Elle a été vendue au bassiste de l’époque. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue depuis. Je sais qu’elle a continué à jouer en basse pendant un moment et j’ai acheté une Gimenez, d’occasion ! Que j’ai trouvée dans un magasin, à côté de Pigalle, qui s’appelait, si mes souvenirs son bons, Central Rythms ou un truc comme ça …

 

Q. C’était en quelle année ?

 

 
 

R : Ce doit être vraisemblablement en soixante-dix. Je cherchais toujours une 175, et je suis arrivé dans ce magasin en demandant s’il n’y avait pas une 175 et le vendeur m’a dit : mais j’ai beaucoup mieux : une Gimenez faite par Jacobacci : tous les musiciens de studio on ça actuellement ! J’ai essayé çà, et, effectivement, c’était extraordinaire. J’allais garder cette guitare pendant quinze ans.

 

Q : C’est la très belle Gimenez qu’on voit en photo sur ton site, avec un magnifique incrustation de tête en forme d’étoile du nord, deux micros Golden Sound..

 

R : Elle était superbe, cette guitare. Oui, c’est ça, deux micros, effectivement. Pour la petite histoire, je l’ai revendue avec des micros PAF Gibson. Le type a fait une affaire, parce que deux PAF, ça vaut la peau des fesses actuellement.

 

Q : tu m’en avais parlé déjà. C’est incroyable …

 

R : … C’est une expérience extraordinaire, parce que les micros PAF, chez Gibson, ont une renommée merveilleuse et valent très cher d’occasion. Ca valait 2.500F il y a quelques années, maintenant, ça doit se négocier à 4.000 ou 5.000 Francs l’unité. J’ai monté deux PAF sur cette guitare parce qu’il fallait la vendre et, comme c’est une guitare assez violente à jouer pour quelqu’un qui n’est pas habitué, j’ai dit : on va la modérer, la tempérer avec des micros PAF Gibson. Alors là, grande surprise, j’ai changé par des micros qui étaient exactement a l’opposé de ceux  qui étaient montés et la guitare a gardé la sonorité qu’elle avait !

 

 

Q : Cette Gimenez, tu la jouais sur quel ampli ?

 

R : C’est l’époque où je cherchais des amplis, je jouais donc sur des amplis que j’ai fait, et pour terminer sur un Fender à quatre hauts parleurs dix pouces , je ne sais plus lequel, Super Reverb peut-être : un ampli extraordinaire. Je me suis aperçu que des gens comme Jim Hall jouent sur des amplis comme ça, je ne le savais pas à l’époque, mais c’est vraiment un super ampli, que j’ai vendu, je ne sais plus pourquoi , et je me suis retrouvé ensuite bien gêné parce que n’avais plus rien : les amplis que j’avais fait, je les avais donnés ou vendus, celui-ci, je l’avais vendu, de sorte que j’ai acheté des cochonneries qui sont en vente dans tous les « bons magasins », des trucs injouables. Lamentable ! Depuis  mes débuts, le marché de la musique est passé progressivement aux mains des multinationales et des faiseurs de fric.

 

Q : Quand tu as acheté cette Gimenez, est-ce que tu faisais la journée ton métier d’ingénieur-conseil et la nuit la musique encore ?

 

R : Non, j’avais à ce moment là une boite d’exploitation de chauffage. C’est en gros l’entretien de chaufferies, la livraison de combustible, des choses comme ça et cette fois-ci, je n’étais plus prof de maths et guitariste, j’étais présenté comme « guitariste-plombier » par les amis. Entre autre, c’est comme ça qu’on m’a présenté à Marcel Dadi. Y’a des copains, les "deux Phiphis " qui possédaient le magasin de Hertz, avant (Vintage Music Import, à Paris), Marcel venait les voir de temps en temps, c’est de là qu’est venu mon surnom , Lbop, parce qu’ils me présentaient ainsi : Salut Marcel, tu connais La Bourge Of Paris, le guitariste-plombier ?

 

Q : Est-ce que c’est à cette époque que tu as commencé à fréquenter l’atelier des Frères Jacobacci ? Tu les connaissais avant ?

 

 

R : Je les connaissais, oui, mais assez peu. J’y allais parce qu’ils faisaient tout ce qu’il y avait à faire pour réparer une guitare. Ils étaient assez réputés parmi tous les professionnels, mais j’avais un peu peur de leur rudesse.. Je les ai surtout connus quand ils on fait une guitare pour moi, commandée par ma femme. Je ne sais pas à quelle occasion, elle a dit : « tiens, comme je veux te faire plaisir, je vais te commander une guitare chez Jacobacci : j’ai bien fait, de t’en parler avant »? Oui… heureusement qu’elle m’en a parlé avant, parce qu’effectivement, j’ai eu exactement la guitare que je voulais, avec le micro que je voulais, la table que j’ai choisie parmi dix tables qui étaient là, dix manches, parce qu’ils on fait une petite série de ces fameuses J5, qui était une super Gimenez, tellement super que Roger a complètement oublié qu’il avait fait cette série de J5 et même … que la J5 a existé. Hors, si tu regardes la facture, c’est précisé : J5. et à l’intérieur de la guitare, c’est marqué : J5. En plus, il m’a expliqué à l’époque : « Hé bien, oui : J5, c’est Jaco 5, comme il existait une L5 pour Loyd Loar 5 ». Ils commençaient à déjà prendre de la bouteille, et ils s’étaient dit : « on va faire une super série et après on va peut-être un petit peu prendre notre retraite ». Donc il y a eu dix guitares J5…

 

Q : … la guitare est exceptionnelle, et il y a dessus deux choses encore plus exceptionnelles, c’est le micro Charlie Christian …

 

 
 

 

R : Ah ! le micro Charlie Christian.

 

Q : Comment as-tu fait pour récupérer un micro Charlie Christian ?

 

R : j’ai acheté une guitare Gibson qui portait un micro Charlie Christian d’origine, j’ai piqué le micro, je l’ai remplacé par une copie récente et j’ai revendu la guitare Gibson. Donc, j’avais récupéré un micro Charlie Christian original.

 

Q : la deuxième chose, c’est le cordier.

 

R : Toutes les J5 étaient faites avec un cordier qu’ils faisaient à cette époque là, qui n’ était pas du tout beau. Moi qui avait eu une Gimenez avec un beau cordier,  j’ai dit : « ah, non ça, ça va pas,  il faut me trouver un cordier comme il y avait dans le temps ».  « Ah non, non, non, on n’en fait plus, nous … » et puis alors Roger me dit, « … ah, oui, y’en a bien un qui est … oui, dans un tiroir… » . Il me sort un autre cordier : « Eh bien voilà, vous le faites dorer, ce sera parfait ». J’ai eu ce cordier. Alors, l’histoire se complique : c’est le cordier de la Gimenez originale, faite pour le fameux Raymond Gimenez, le guitariste (des Guitars Unlimited). Cette guitare a été rachetée par Jean-Pierre Lamarque, et c’est Jean-Pierre Lamarque qui m’a appris qu’en fait MON cordier était celui de SA Gimenez originale qui a été détourné à mon usage et que Roger a déclaré …perdu.. Pas pour tout le monde.

 

 

Q : Entre temps tu as eu une Gimenez 7 cordes ?

 

R :  Je l’ai toujours. Je l’ai trouvée chez Hertz assez récemment. Je l’ai achetée d’occasion. C’est très rare, une Gimenez 7 cordes. Alors quand j’ai vu celle là, comme d’habitude, il me faut 5 minutes pour acheter une guitare. Après je regarde si j’ai les sous. Mais d’abord …

 

Q : Il faut que tu nous explique le principe d’une 7 cordes, on n’est pas très familiers avec les 7 cordes, on connaît seulement la Gretsch Van Eps …

 

R : Voilà. Van Eps, c’est un guitariste très connu qui jouait sur une Gretsch 7 cordes avec un accordage assez spécial : parce qu’il joue beaucoup en accords et en picking, donc il y a un jeu de basse au pouce et avec cette corde supplémentaire on peut descendre plus bas et donc mieux imiter la contrebasse qu’avec une guitare 6 cordes. Cette guitare, moi, je l’ai accordée en quartes comme les guitares actuelles. Parce que Van Eps a un doigté qui change au fur et à mesure que l’on se rapproche de la corde grave. Je n’ai pas voulu faire ça, j’ai voulu garder le même doigté avec un accordage par quartes des cordes les plus graves. J’avoue que c’est amusant, mais l’avantage d’une sept cordes est plutôt anecdotique dans mon cas.

 

Q : Parallèlement à tout ça, tu a fait des recherches dans le domaine de l’acoustique. Tu as construit des amplificateurs, des enceintes acoustiques …

 

R : Voilà. J’ai fait des enceintes avec un ami qui est très connu dans le monde de l’électro-acoustique, il s’appelle Yves Cochet. Ce n’est pas le député vert que tout le monde connaît, mais mon Yves Cochet, dans le monde de l’électro-acoustique, est au moins aussi connu que le politicien. C’est un type qui invente des choses à tout bout de champ. C’est vraiment un génie. Je l’ai suivi, avant de travailler avec lui,  pendant au moins dix ans. C'est-à-dire j’ai suivi mes cours pratiques, en allant le regarder travailler. Et comme je suis acousticien, j’ai essayé d’expliquer ce qu’il faisait. En fait, il travaille entièrement à l’oreille. Il est capable de calculer un filtre, une enceinte, mais quand il travaille, il travaille uniquement à l’oreille. C’est vraiment un type exceptionnel, mais alors l’ennui, c’est qu’il est un peu caractériel et qu’il se fâche toujours avec les gens avec qui il travaille. Il devrait être à la tête d’un empire, genre Bill Gates ou un truc comme ça. Je ne sais pas comment il vivote actuellement. L’exemple de son raisonnement, on pourrait le voir ainsi. Il y a un ami commun, qui habite tout près d’ici depuis peu, Jean-Pierre Adine, rédacteur en chef de la rubrique économie au journal le Point. C’est un mélomane averti.  Il a toujours eu des enceintes ou des amplis d’Yves Cochet. Dernièrement j’ai été chez lui, en tant qu’ami et voisin, et j’ai remarqué un truc : sur ses tweeters, Yves Cochet a mis une barre de plastique à peu près comme un crayon … horizontale. J’ai tout de suite compris. En fait, ça disperse le son du tweeter, ça évite qu’il soit trop concentré, ça le rend bien plus homogène dans l’espace,. Hors,  tous les gens, y compris moi, qui ont essayé, ont toujours mis une barre verticale. Ca ne marchait pas. Et lui il a trouvé que ça marchait avec une barre horizontale … et ça marche réellement, quoique, en théorie, ça ne devrait pas marcher ! C’est que des trucs comme ça, qu’il trouve. Un jour il me dit : « Ben, tiens : si je peins cette résistance en noir, ça change le son de l’ampli ». Tu l’entends ? C’est clair, c’est net, c’est vrai ! Il n’a que des trucs comme ça. Une imagination extraordinaire ! Il fait des assemblages qui sont d’un réalisme sonore ... C’est vraiment de la Hifi. C’est le seul à faire de la Hifi. Les autres, ils font du mirliton ! Mais, malheureusement, on ne peut pas travailler avec lui. Tous les gens qui ont essayé ont fait comme moi : ils ont abandonné au bout de quelques années.

 

Q : Tu as du rencontré des gens exceptionnels autour des guitares Jacobacci ? Tu parlais de Marcel Dadi, tout à l’heure. Il était client, à l’atelier ?

 

R : Non, non, il était client, mais ce n’est pas là où je l’ai connu. Dadi avait sa boutique pas loin de l’endroit où nous sommes et il était ami avec le deux « Phiphis. » C’était un type assez extraordinaire , Marcel Dadi, très sympathique, et à l’époque où il était là, il était à peu près le seul, avec deux, trois vendeurs, à connaître vraiment les guitares aux alentours de Pigalle, mis à part les « Phiphis », spécialisés en vintages.

 

Q : moi, je suis tombé dans les guitares vintage avec les articles qu’il y avait dans cette revue que tu as du connaître, qui s’appelait DISC, où les articles sur les guitares vintage étaient signés de Marcel Dadi, d’André et Roger Jacobacci et d’André Duchossoir.  Pour moi, c’est eux qui ont lancé la guitare vintage en France.

 

R : Duchossoir certainement, parce que lui l’a lancée mondialement ! Lui, a un impact … il est très connu aux Etats-Unis. Il m’a dédicacé son bouquin « Gibson Electrics » en écrivant « merci de l’avoir acheté JP », sous entendu : autrement tu m’aurais demandé de te le donner, mais tu l’as acheté , c’est formidable ! C’est aussi un mec extraordinaire, Duchossoir. C’est un « cas social » aussi. Alors lui, pendant une époque où il était connu et où je le fréquentais assez souvent, il écrivait ses bouquins la nuit et il travaillait le jour à la banque. Mais, à trois ou quatre heures du matin, tu allais chez lui, il était au boulot, hein … Alors, une connaissance des modèles ! Bien connu chez Gibson. C’est vraiment l’historien, c'est-à-dire il a réussi à rentrer … Il rentre quand il veut chez Gibson ou chez Fender. Tout le monde le salut et lui dit : entrez, je vous en prie, vous prendrez bien une dizaine de guitares … Vous irez bien visiter nos archive …

 

Q : Tu as rencontré Pierre Cullaz ?

 

R : Ah, oui, Pierre Cullaz, c’est récent !

 

Q : C’est au moment où tu as travaillé aux pages Jacobacci de ton site.

 

R : Oui, parce que d’abord il avait une RII,  je crois, que je voulais photographier (je n’avais pas de photos).

 

Q : … il y a un modèle Pierre Cullaz, c’est celle qui ressemble le plus à une ES-175 par ses dimensions …

 

R : c’est un modèle qui avait été fait en discutant avec Pierre Cullaz entre autres, c’est à dire qu’ils voulaient faire un modèle pas trop encombrant, qui n’ait pas une poutre centrale qui prenne toute la table comme l’ES-335, donc ils ont réussi à faire une poutre centrale qui était décollée des tables avant et arrière. C’était l’intérêt de cette guitare … Alors oui, j’ai rencontré Cullaz . C’est Roger qui m’avait dit : « va donc voir Pierre Cullaz » . J’ai écrit à Pierre Cullaz qui m’a dit de venir le photographier lors de l’un des cours qu’il donne (il donne des cours à deux endroits différents, dont le CIM) et c’est un gars assez facile d’accès, puisqu’au bout de cinq minutes on se tutoyait,  et il m’a donné une foule de renseignements sur les guitares Jacobacci que Roger a oubliés ou négligés, et il est vraiment très, très gentil. Il n’enregistre pratiquement plus, mais au point de vue professorat, c’est LE prof de guitare de Paris.

 

Q : Tu étais là quand l’atelier de la rue Delaître a fermé ?

 

R : Ah oui ! le jour de la fermeture.

 

Q : André était mort depuis déjà pas mal de temps ?

 

R : C’était un an ou deux après, je ne sais plus.

 

Q : Ils ont été expropriés par la Ville de Paris et donc Roger a décidé de fermer ?

 

R : Oui. Il y avait une des sœurs Jacobacci, dont je ne connaissais pas l’existence, qui était là,  il y avait Roger et vraisemblablement quelqu’un d’autre mais je ne me rappelle plus qui c’était.  On était quatre. Il a fermé a clé et il est parti. Alors c’était assez triste parce que ces deux frères avaient travaillé, d’après ce que m’a dit Roger, cinquante ans tous les deux autour du même établi et la sœur qui était là ne riait pas non plus. C’est tout juste si l’on n’entendait pas le glas sonner …

 

Q : personne n’a repris l’affaire. Les enfants ne se sont pas intéressés à la lutherie ?

 

R : pas du tout ! Alors j’ai essayé de faire reprendre le nom Jacobacci par François Guidon. Si j’ai bien compris, mais alors là je parle par ouï-dire, Roger aurait réclamé qu’il reprenne aussi les machines, et François Guidon ne pouvait pas acheter les machines… et en fait les machines n’ont été vendues à personne! Je lui avais conseillé de reprendre le nom Jacobacci et de verser  des royalties à Roger, ce qui se passe actuellement avec Camac. Ca ne s’est pas fait. Donc le nom Jacobacci a effectivement disparu pendant un certain nombre d’années !

 

 

 

Bar-Tabac "La Tour d'Auvergne", rue des Martyrs, Paris, le 7 avril 2004

 

 
  P.S. La pub qui tue, celle qui a eu ma peau, celle qui a ravagé le portefeuille
de mon vieux papa : la pub retrouvée dans le n° 29 de Jazz Magazine de
juillet-août 1957 et qui m'a vraisemblablement fait craquer en septembre.
La pub de Major Conn pour "leurs" guitares et amplis RV, en réalité pour la
"Royal" Jacobacci et l'ampli "Radio Video" de Brammer.
   
 
   
  Photos : collection J.P. Bourgeois
   
 
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